Ah, les slogans…
Les slogans : on en invente, on les reprend aux champions, on se les approprie… Bref, on en est gavé, jusqu’à l’indigestion.
A force de toujours faire rêver, vouloir dépasser les limites, on pense que tout est accessible à n’importe qui. Et quelque part, n’importe comment. C’est la mode de nier la douleur, d’en faire toujours plus. « No pain, no gain » on vous dit ! Il faut forcer, il faut souffrir, toujours, tout le temps. Evidemment qu’en ne dépassant jamais sa zone de confort, on restera au niveau actuel. La souffrance, si elle est provoquée, elle est tolérée par le coureur. Si on la subit, si on doit être dans l’inconfort, dans la peine permanente, ça ne donnera rien de bon, physiquement et psychologiquement. Peut-on toujours faire mieux ?
Alors voilà, sur les réseaux sociaux, on vous montre une image forte, combinée à une citation vous incitant à vous bouger. Vous faisant croire que même quand il y a la tornade dehors, les « vrais guerriers » vont affronter les éléments… bêtement. C’est vrai, maintenez votre séance de piste même s’il y a 90 km/h de vent et de pluie ! On se renforce, mentalement… Ou on se vide. Car non seulement votre séance ne sera pas faite en maîtrise et en qualité, mais en plus vous risquerez d’oublier ce qu’est le plaisir, et de tomber malade, tiens, en prime.
On vous dit qu’il faut aussi faire de la quantité, si vous voulez être un champion. Clairement, il faut borner, se forger une endurance pour pouvoir tout encaisser. Les champions le font… Et pourquoi ne pas devenir, vous aussi, un champion ? La démarche, quand on a des objectifs, est bonne : on n’a rien sans rien. On ne peut pas, mesdames ou alors cas exceptionnel, courir 40 min au 10 km sans faire 3 – 4 sorties incluant du fractionné, des séances de qualité et suffisamment de kilomètres. Il ne faut pas, messieurs, suivre un copain sur un ultra parce que s’il en est capable, vous aussi. Mais les autres le font, les champions le font. Ils font plus. Alors, on le doit aussi…
Alors oui, le marathon est une épreuve « unique » : son effort, son atmosphère, cette maîtrise nécessaire… Oui le marathon est unique, tout comme un 1500 m, un 10 km, un cross, un ultra. La course à pied est riche de sa variété, tout le monde peut y trouver son compte.
« Aujourd’hui, en s’exposant médiatiquement, on peut savoir, même voir comment ils font […] Ainsi exposé, leur ténacité, leur opiniâtreté a valeur d’exemple »
Les champions sont des exemples ?
Oui et non. Ils nous impressionnent, ils nous font rêver. Leurs performances nous paraissent dingues. Aujourd’hui, en s’exposant médiatiquement, on peut savoir, même voir comment ils font. Les photos des entraînements sont diffusées, nous sommes comme des spectateurs privilégiés alors qu’à une époque tout cela était un peu flou, plutôt secret. Ainsi exposé, leur ténacité, leur opiniâtreté a valeur d’exemple.
Prenons l’exemple d’un Kilian Jornet. Il est fabuleux, il fait des efforts surhumains, il danse sur les crêtes, il glisse en descente… C’est en plus quelqu’un de simple et d’attachant, qui joue le jeu, mais qui est finalement assez éloigné de cette foule qu’il attire. Unique, qui plus est, par son histoire, vivant en montagne depuis sa naissance. Un exemple qu’on ne peut pas imiter, car nous n’avons pas son histoire ni ses capacités. Qu’il attire l’admiration suffit bien ! Chacun doit avoir ce recul.
Prenons l’exemple d’un Julien Wanders. A 21 ans, le franco-suisse démontre d’énormes qualités sur 10 km (28’02) et semi-marathon (1h01’43). Des temps qu’il améliorera sans doute. Un garçon sympathique, qui a choisi une vie « dure » au Kenya, auprès des autres athlètes dont il est assez doué pour les battre en course, quelques fois. Ce jeune homme qui a avoué qu’il ne se reposait presque jamais. La dernière fois, c’était en octobre. « Aller faire un footing m’apporte plus qu’un jour de repos, c’est personnel ». Doit-on l’admirer au point de nier que le repos, même pour celui qui n’y croît pas, n’a pas d’utilité ? Jake Robertson (1h00’01 au semi-marathon, 28 ans, Nouvelle Zélande), Eliud Kipchoge (2h03’05 au marathon, 33 ans, Kenya) se reposent également. En parallèle, ils donnent tout. Il trace sa voie, mais espérons pour lui qu’il aura atteint les performances espérées, des titres, et qu’il sera encore là dans 5 ans, dans 10 ans. (lire le très bon article de Track and Life)
« Inspirons-nous, oui, de l’exemple des champions de quel niveau que ce soit, mais transformons ceci chacun à notre mesure, en traçant notre propre voie »
Quand on est jeune, on fait bien de croire en ses rêves, d’être ambitieux. Quel coureur sera-t-on en fin d’année, dans 10 ans…? Mais le champion de demain se construit aujourd’hui, et personne ne va loin et ne peut être performant sans repos, aussi bien que sans efforts. Quand on s’attaque à ses ambitions, il faut dès le départ réaliser l’investissement et les efforts. On sait à peu près aujourd’hui comment BIEN faire. La population des coureurs grandit. Les anciens vous le diront : « avant, on allait courir beaucoup, on forçait tout le temps, mais on faisait sans savoir… Maintenant, on sait comment s’y prendre ».
Au lieu de se lancer des défis trop fous pour notre niveau, et au lieu d’être dans l’obsession du « toujours plus », pourquoi ne pas essayer de faire « bien » et de profiter, d’être dans le présent avant tout ?
Inspirons-nous, oui, de l’exemple des champions de quel niveau que ce soit, mais transformons ceci chacun à notre mesure, en traçant notre propre voie.
Mathieu, Run in Pyrénées
3 commentaires sur « Slogans, motivation et démesure »